Le droit pénal français connaît en 2024 une mutation significative de son arsenal répressif. La loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 et ses décrets d’application modifient substantiellement le régime des sanctions, en réorientant la politique pénale vers une approche plus graduée. Ces changements s’inscrivent dans une logique de personnalisation des peines tout en renforçant certains dispositifs répressifs pour les infractions jugées prioritaires. Cette transformation affecte tant les peines principales que les mesures alternatives, redessinant les contours de la répression pénale moderne et ses modalités d’application par les juridictions.
Réforme des peines d’emprisonnement : vers une exécution différenciée
Le législateur a profondément remanié le régime d’exécution des peines privatives de liberté. Désormais, les peines d’emprisonnement inférieures à six mois font l’objet d’un aménagement ab initio quasi-systématique, conformément à l’article 132-19 du Code pénal modifié. Cette orientation confirme la volonté de limiter l’incarcération courte, jugée criminogène et peu efficace en termes de réinsertion.
Pour les condamnations comprises entre six mois et un an, le juge de l’application des peines dispose d’un pouvoir d’appréciation renforcé. Le décret n°2024-127 du 15 février 2024 instaure un seuil d’aménagement modulable selon la nature de l’infraction et le profil du condamné. Les délits liés aux violences intrafamiliales et les infractions à caractère terroriste sont explicitement exclus de ces dispositifs favorables, marquant une différenciation dans le traitement pénal.
L’innovation majeure réside dans la création du bracelet anti-rapprochement pénitentiaire (BAR-P), distinct du dispositif préexistant. Ce mécanisme, codifié à l’article 723-7-1 du Code de procédure pénale, permet un contrôle géolocalisé plus strict des condamnés en semi-liberté ou placés sous surveillance électronique. Sa mise en œuvre progressive, initiée dans cinq juridictions pilotes depuis mars 2024, sera généralisée à l’ensemble du territoire en septembre.
Les modalités d’exécution des peines supérieures à un an connaissent également une évolution notable. La libération sous contrainte devient la norme pour les condamnés ayant purgé les deux tiers de leur peine, sauf opposition motivée du juge d’application des peines. Cette présomption d’aménagement renverse la logique antérieure et devrait permettre, selon les projections du ministère de la Justice, de réduire de 8% la population carcérale d’ici fin 2024.
Renforcement des sanctions patrimoniales et financières
L’année 2024 marque un tournant dans l’approche patrimoniale de la répression pénale. La loi n°2023-1059 a considérablement étendu le champ d’application des confiscations spéciales, désormais applicables aux biens dont le condamné a la libre disposition, même en l’absence de droit de propriété formellement établi. Cette innovation jurisprudentielle, consacrée par l’arrêt de la Chambre criminelle du 27 juin 2023, bouleverse la conception traditionnelle du lien entre patrimoine et responsabilité pénale.
Le plafond des jours-amende connaît une augmentation substantielle, passant de 1.000 à 3.000 euros par jour pour les délits commis en bande organisée et les infractions financières complexes. Cette revalorisation, entrée en vigueur le 1er mars 2024, triple potentiellement le montant maximal de cette sanction pécuniaire, la rendant véritablement dissuasive pour les délinquants fortunés.
Nouveaux mécanismes de saisie et confiscation
L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) voit ses prérogatives renforcées par le décret n°2024-198 du 8 mars 2024. Désormais habilitée à procéder à des ventes anticipées dès le stade de l’instruction pour les biens périssables ou dont la conservation engendre des frais disproportionnés, l’agence dispose d’une latitude accrue dans la gestion des avoirs criminels.
La création d’une amende proportionnelle pour les infractions économiques et financières constitue une innovation majeure. Fixée en pourcentage du chiffre d’affaires pour les personnes morales (jusqu’à 30%) ou du patrimoine pour les personnes physiques (jusqu’à 15%), elle permet une sanction véritablement adaptée aux capacités financières du condamné, dépassant les limites inhérentes aux amendes forfaitaires traditionnelles.
Le recouvrement transfrontalier des sanctions pécuniaires bénéficie d’un cadre juridique rénové, avec la transposition complète de la directive européenne 2014/42/UE. Les procureurs financiers disposent désormais d’un accès direct aux bases de données patrimoniales européennes, facilitant la détection et la saisie des avoirs dissimulés à l’étranger. Ce dispositif, opérationnel depuis avril 2024, a déjà permis la saisie de 17 millions d’euros d’actifs localisés dans des juridictions européennes.
Évolution des peines alternatives : diversification et numérisation
L’arsenal des sanctions alternatives à l’emprisonnement connaît une expansion significative. Le travail d’intérêt général (TIG) fait l’objet d’une refonte complète avec l’arrêté ministériel du 12 janvier 2024, qui harmonise les procédures d’habilitation des structures d’accueil et crée une plateforme numérique nationale de gestion des postes disponibles. Le plafond horaire passe de 400 à 500 heures, permettant des sanctions plus longues pour des délits intermédiaires.
La contrainte pénale, jugée trop complexe dans sa mise en œuvre, disparaît au profit du sursis probatoire renforcé. Cette mesure, codifiée aux articles 132-41-1 et suivants du Code pénal, conserve l’approche individualisée tout en simplifiant le cadre procédural. Elle prévoit un suivi intensif par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) avec une évaluation trimestrielle obligatoire devant le juge d’application des peines.
L’innovation technologique s’invite dans le champ des alternatives avec l’expérimentation du contrôle à distance par visioconférence. Ce dispositif, lancé dans 15 juridictions depuis février 2024, permet aux condamnés placés sous contrôle judiciaire ou en sursis probatoire de réaliser certains pointages obligatoires via une application sécurisée, réduisant les contraintes logistiques tout en maintenant un niveau de surveillance adéquat.
Médiation et justice restaurative
La justice restaurative bénéficie d’une reconnaissance accrue avec la création d’un statut officiel pour les médiateurs pénaux professionnels par le décret n°2024-203 du 14 mars 2024. Cette professionnalisation s’accompagne d’un financement dédié, avec une enveloppe de 15 millions d’euros allouée au développement des programmes restauratifs sur la période 2024-2026.
Pour les infractions de faible gravité, la transaction pénale voit son champ d’application considérablement élargi. Désormais applicable à l’ensemble des contraventions et à certains délits punis d’une peine maximale de trois ans d’emprisonnement (contre un an auparavant), cette procédure permet une résolution rapide sans inscription au casier judiciaire. Les barèmes indicatifs publiés par circulaire le 5 avril 2024 visent à harmoniser les pratiques entre juridictions.
Transformation du régime des sanctions applicables aux mineurs délinquants
Le Code de la justice pénale des mineurs, entré en vigueur en septembre 2021, connaît ses premières modifications substantielles. Le décret n°2024-118 du 9 février 2024 introduit de nouvelles mesures éducatives judiciaires (MEJ) combinant surveillance et accompagnement personnalisé. Le module de réparation environnementale, particulièrement novateur, permet aux juges d’orienter les mineurs vers des travaux de restauration écologique, associant pédagogie et conscience citoyenne.
L’encadrement des stages de citoyenneté spécialisés fait l’objet d’une refonte complète. Ces stages thématiques (lutte contre les discriminations, sensibilisation aux dangers du numérique, prévention des violences sexistes) bénéficient désormais d’un référentiel national élaboré par la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, garantissant une harmonisation des contenus pédagogiques sur l’ensemble du territoire.
Pour les infractions les plus graves, la détention provisoire des mineurs connaît un encadrement plus strict. La loi n°2023-1059 réduit les durées maximales d’incarcération préventive et impose des obligations de motivation renforcées. Parallèlement, les centres éducatifs fermés (CEF) font l’objet d’un plan de développement avec la création de 15 nouvelles structures d’ici 2026, portant leur nombre total à 67 sur le territoire national.
L’incorporation des technologies numériques dans le suivi des mineurs constitue une évolution majeure. L’expérimentation du bracelet connecté éducatif (BCE), dispositif de géolocalisation allégé sans alarme périmétrique, permet un contrôle des horaires et déplacements sans la stigmatisation associée au bracelet électronique traditionnel. Les premiers résultats, concernant 120 mineurs équipés depuis octobre 2023, montrent un taux de respect des obligations judiciaires en hausse de 37%.
L’arsenal répressif face aux nouvelles formes de délinquance numérique
Le législateur a pris la mesure des défis posés par la criminalité en ligne avec l’adoption de sanctions spécifiques aux infractions numériques. La loi n°2023-1059 crée une circonstance aggravante générale lorsque les moyens cryptographiques ou d’anonymisation ont été utilisés pour commettre une infraction, majorant alors la peine encourue d’un tiers. Cette disposition, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, a déjà été appliquée dans plusieurs affaires de trafic de stupéfiants organisé via des messageries chiffrées.
L’interdiction judiciaire numérique fait son apparition dans l’arsenal pénal. Cette peine complémentaire, prévue à l’article 131-6-1 du Code pénal, permet aux juridictions de prononcer une interdiction temporaire ou définitive d’utiliser certains services en ligne ou dispositifs connectés. Sa mise en œuvre technique repose sur un partenariat inédit entre le ministère de la Justice et les fournisseurs d’accès à internet, matérialisé par la convention-cadre signée le 21 mars 2024.
La répression des escroqueries en ligne bénéficie d’un régime procédural dérogatoire avec la création d’une juridiction nationale spécialisée. Le pôle cybercriminalité du tribunal judiciaire de Paris, opérationnel depuis février 2024, dispose d’une compétence concurrente pour l’ensemble des infractions commises au préjudice de victimes multiples localisées dans différents ressorts. Cette centralisation permet une meilleure coordination des enquêtes et une mutualisation des expertises techniques.
Les cryptomonnaies et autres actifs numériques font l’objet d’un traitement pénal spécifique. Le décret n°2024-167 du 28 février 2024 fixe les modalités de saisie, conservation et confiscation des avoirs cryptographiques, conférant à l’AGRASC des prérogatives élargies pour la gestion de ces actifs volatils. Une plateforme technique dédiée, développée en partenariat avec la Banque de France, permet désormais aux enquêteurs de tracer les transactions suspectes sur les principales blockchains.
- Création de l’amende numérique proportionnelle calculée en fonction du nombre de victimes ou de la diffusion des contenus illicites
- Instauration d’une période de sûreté numérique interdisant tout accès à internet pendant une durée déterminée après l’exécution de la peine principale
Ces innovations sanctionnatrices témoignent d’une adaptation progressive du droit pénal aux réalités technologiques contemporaines, même si des questions substantielles demeurent quant à l’effectivité du contrôle de ces interdictions dans un environnement numérique mondialisé.
Au-delà des sanctions : vers un droit pénal prédictif et préventif
L’évolution la plus profonde du système répressif français réside peut-être dans l’intégration progressive d’une dimension prédictive dans l’application des sanctions. Le décret n°2024-256 du 27 mars 2024 autorise l’utilisation expérimentale d’algorithmes d’analyse des facteurs de risque de récidive pour orienter les décisions d’aménagement de peine. Cette approche, inspirée des modèles anglo-saxons, suscite des débats éthiques considérables sur la place de l’intelligence artificielle dans le processus judiciaire.
La justice actuarielle, fondée sur l’évaluation statistique des risques, fait ainsi son entrée dans le paysage pénal français. Les cinq cours d’appel pilotes sélectionnées pour l’expérimentation utiliseront l’outil COMPAS (Correctional Offender Management Profiling for Alternative Sanctions) dans sa version adaptée au contexte juridique national. Les magistrats conservent leur pouvoir souverain d’appréciation, l’algorithme n’intervenant qu’à titre consultatif.
Parallèlement, le suivi post-sentenciel connaît une extension significative. La mesure de sûreté baptisée « surveillance judiciaire renforcée » permet désormais un contrôle prolongé jusqu’à dix ans après l’exécution de la peine pour certaines catégories de condamnés présentant un risque élevé. Ce dispositif, distinct de la surveillance de sûreté existante, s’applique notamment aux auteurs d’infractions terroristes et de crimes sexuels aggravés.
L’approche préventive se traduit également par l’essor des injonctions comportementales, mesures hybrides entre la sanction et l’obligation de soin. Le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) de nouvelle génération intègre des capteurs biométriques permettant de détecter la consommation d’alcool ou de stupéfiants en temps réel, transformant profondément la nature du contrôle exercé.
Cette évolution vers un droit pénal préventif s’accompagne d’un renforcement des garanties procédurales. La création d’un recours spécial devant la chambre de l’application des peines contre les décisions fondées sur des évaluations algorithmiques illustre la recherche d’un équilibre entre innovation répressive et protection des libertés fondamentales. Le droit pénal français entre ainsi dans une ère de transformation profonde, où la frontière traditionnelle entre sanction et prévention tend à s’estomper au profit d’un continuum répressif personnalisé.
